La retraite ou le populisme de gauche

La retraite ou le populisme de gauche

Deux chaises bleues sur une plage face à l'océan -- Photo by Aaron Burden / Unsplash

L'une des grandes thèses de la gauche lors de ces derniers mois est le retour sur la réforme des retraites et sur le recul de l'âge de départ (pour le mettre à 60 ans pour le NFP). Autant il est évident que la réforme des retraites s'inscrit dans une déconstruction de la politique sociale tout en étant inutile économiquement parlant, autant la deuxième me fait beaucoup plus douter face à son utilité, y compris sociale.

La retraite est l'un des trois bastions socialistes français, avec le fonctionnariat et les cotisations. Elle représente un mode de rémunération fondamentalement opposé au libéralisme et son paiement à l'acte (qui se réimpose avec l'uberisation de la société) : le salaire à vie (à distinguer du revenu universel). En effet, les retraités sont payés par l'État sans avoir besoin de justifier d'une quelconque activité alors que les travailleurs indépendants dits libéraux (infirmière libérale, chauffeur Uber, autoentrepreneur) sont payés à l'acte (course, intervention). Mais ce n'est pas pour cela que souhaite l'avancer.

Avancer l'âge de départ : une idée électoraliste ?

Pour partir à la retraite, un citoyen français a besoin d'avoir travaillé pendant 42 ans et d'avoir au moins 64 ans (actuellement en tout cas). (Ceci est une simplification, mais le cas général ne contredit pas la suite.) Donc, si un citoyen français commence à travailler à 20 ans, il devra travailler durant 44 ans avant de pouvoir partir à la retraite, ce qui est deux ans de plus qu'un même citoyen français ayant commencé à travailler à 22 ans. Cet âge minimum de départ semble immoral : on traite différemment deux personnes juste parce qu'elles n'ont pas commencé à travailler au même âge alors qu'elles ont travaillé la même durée. Avancer l'âge de départ parait ainsi être une solution non suffisante : il faudrait supprimer cet âge pour être moral.

Cette modification de l'âge de départ ne changerait pas grand-chose à la majorité de la population. En effet, commencer à travailler avant 22 ans sans jamais avoir une période sans aucun revenu est peu probable, notamment en fin de carrière (chômage longue durée chez les ouvriers séniors). Avancer cet âge sans toucher à l'âge de départ ne corrigera pas ce problème.

La communication inconditionnelle de la gauche sur cet aspect sert surtout à montrer qu'elle s'intéresse aux problèmes des plus pauvres sans envisager de changement qui pourrait faire peur. Cela répond à une logique électoraliste, voir populiste : la gauche s'empare de cette vision commune conséquentialiste (et non déontologiste) pour gagner en popularité et donc se faire élire.

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La moralité de l'âge de départ dépend surtout d'une vision déontologiste : il est immoral de traiter différemment quelqu'un en fonction de choix arbitraires n'affectant les autres. Or, la gauche s'empare de ce point de vue déontologiste et l'utilise d'un point de vue conséquentialiste, comme le montre leur communication sur le sujet. C'est pour cela que cette action est électoraliste.

De plus, la majorité des retraités ont un plus grand patrimoine que la majorité des actifs, ce qui augmente évidemment leur qualité de vie. Cela pose un problème économique, politique et morale.

Le problème économique est évident : les retraités, bien souvent inactifs, vivent mieux en ne faisant rien pour l'économie. Le système actuel encourage à être à la retraite au lieu d'être économiquement utile. C'est un non-sens puisque l'absence d'utilité économique ruine l'économie dans sa globalité.

Le problème politique est moins flagrant. Dans notre système économique et politique, plus une personne est riche, plus elle possède de pouvoir politique. En effet, elle peut décider de contourner des décisions globales allant à l'encontre de son propre intérêt, comme ne pas participer activement à la lutte écologique. Elle pourra aussi plus facilement investir et choisir quel avenir elle souhaite voir, alors qu'elle n'aura pas forcément le temps d'en profiter (à 70 ans, il reste en moyenne que 10 ans à vivre, ce qui n'est pas assez pour profiter des changements sociétaux modérés).

Le problème moral découle directement du problème politique : en quoi une personne ne servant pas le bien commun (comme la majorité des retraités) est plus importante pour la société qu'une autre servant le bien commun ? C'est comme si ceux abusant du système devinrent les dirigeants (par exemple les entreprises ne déclarant pas tout leur revenu). Ils semblent, au moins, totalement illégitimes à gouverner et à imposer leur vision. De plus, les choix de ces personnes vont beaucoup plus modifier la société actuelle, alors que ce sont ces personnes qui vont vivre le moins longtemps dans cette société. Ce serait comme si on demandait aux étudiants étrangers de choisir le futur de la France, sachant qu'ils ne vont pas rester longtemps en France (pour la majorité en tout cas). Cela parait fondamentalement étonnant. Pour revenir aux retraités, la majorité n'est pas réellement concernée par le changement climatique (1) (bien que cet enjeu soit évident), ce qui entraine un désintérêt politique : les deux principaux partis votés par les retraités (RN et Ensemble) n'ont aucun programme écologique ambitieux tandis que les jeunes, plus concernées par le changement climatique, votent massivement pour le NFP. Cela se voit dans le gouvernement actuel : Michel Barnier, ayant l'âge d'être à la retraite, n'a aucune ambition écologique.

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Je ne dis pas que le point de vue des retraités est impertinent ou, pire, qu'on ne devrait pas le considérer. J'affirme juste que ce point de vue ne devrait être en aucun cas plus important que celui d'une autre personne.

Vers une nouvelle forme de retraite

La retraite dans sa forme actuelle est loin d'être idéale : elle s'inscrit dans un principe économique ne marchant plus (la population active n'est plus suffisante à cause de son vieillissement) et laisse de côtés les retraités. Ces deux problèmes majeurs s'ajoutant aux précédents montrent que notre système actuel est loin d'être parfait et qu'il devient nécessaire de le repenser.

Le passage de la vie active à la retraite est brutale : il n'y a pas de période de transition permettant de s'adapter en douceur. Cette période devrait servir à accompagner les prochains retraités vers leur nouveau mode de vie : ils auraient plus de temps pour prendre de nouvelles habitudes, pour trouver des occupations ou encore pour réorganiser leur mode vie. Par exemple, au lieu de passer brutalement de 35 heures par semaine à aucune, le retraité pourrait d'abord faire 30 heures pendant un mois, puis 25 heures le prochain mois, pour après faire 20 heures, puis 15 heures, etc. Durant cette transition, l'État ne commencerait pas à payer la totalité puisque cette personne travaille encore. En effet, l'entreprise pourrait payer uniquement les heures travaillés et l'État s'occuperait de compenser le reste. Si cela est fait sur plusieurs mois ou plusieurs années, alors la personne pourra travailler plus longtemps sans pour autant être épuisé par son travail. Il faudrait aussi qu'elle ne puisse pas être licenciée durant cette période pour éviter d'annuler son intérêt.

Pour contrer l'invisibilisation des retraités, il est nécessaire de les garder actif. En effet, en étant actif, ils restent visibles pour les autres citoyens, ce qui permet aussi de contrer leur sentiment de solitude. Cette activité ne doit pas être rémunératrice puisqu'ils ont déjà leur retraite. Le bénévolat est une activité rentrant dans cette catégorie : il permet de garder du contact avec la population active, d'être utile à la société et de comprendre les changements sociétaux en train de s'opérer, tout en étant non rémunéré. Par contre, si cette activité génère de l'argent, la société ou l'association doit payer le retraité (ce qui diminuera la part de l'État pour garder une retraite constante).

Cette connexion au monde actif renforcera l'intérêt des retraités auprès des problématiques des jeunes, notamment parce que le travail associatif est souvent critique du système. En effet, en se questionnant sur la légitimité du système, on est plus enclin à avoir des actions altruistes et donc à voir au-delà de sa propre individualité. Cela modifiera forcément le point de vue politique des retraités en le centrant autour des problématiques que l'association combat (qu'elle soit louable ou non) et dans tous les cas, cela les reconnectera au monde actuel.

Dans un premier temps, pour promouvoir le bien commun auprès des retraités, l'État devrait demander et contrôler l'existence d'une activité rentrant dans ce cadre. Elle devra être pratiquée régulièrement pour pouvoir avoir accès à la totalité de sa retraite. Évidemment, si le retraité a des problèmes de santé, alors il sera libéré de cette contrainte pour qu'il puisse privilégier sa santé.

Ensuite, quand la vision du bien commun surpassera la vision individualiste dominante, l'État pourra lever officiellement cette contrainte puisqu'elle ne sera plus nécessaire. Malheureusement, la première étape est obligatoire à cause de l'idéologie dominante actuelle : le néolibéralisme empêche cette vision du bien commun allant au-delà de l'intérêt individuel.

Conclusion

Avancer l'âge de départ à la retraite n'est pas une position politique très risquée et ne changera pas les choses en profondeur. Changer le fonctionnement de la retraite est bien plus risqué, mais est l'unique manière de régler les problèmes politiques et économiques profonds.

La forme actuelle de la retraite est problématique pour deux raisons majeures : les retraités jouissent d'une trop grande importance politique et économique tout en étant invisibilisés aux yeux des actifs. Cela est dû au fonctionnement intrinsèque de notre système de retraite promouvant l'inactivité face à l'activité. En devenant actif (en tant que bénévole par exemple), les retraités ne seront plus délaissés par la société, ce qui favorisera leur intégration et leur compréhension des problématiques des jeunes. De plus, en instaurant un départ progressif à la retraite, cela diminuera le choc ressenti qui pourrait augmenter cette déconnexion de la société active.


  1. De nombreuses études montrent que la fracture intergénérationnelle n'est pas très prononcée pour le changement climatique. Pourtant, si on dépasse les affirmations et que l'on regarde les actes (notamment politiques), les retraités votent majoritairement pour des partis climatosceptiques (comme le RN) ou ne luttant pas réellement contre (comme Ensemble).